COMMUNIQUE DE PRESSE
COMMUNIQUÉ du 11/11/2006
Vingt-sept minutes pour l'éternité
Ce n'est pas tous les jours qu'on réécrit la légende du Rhum. Cette fameuse Une de l'Equipe, en 1978, qui installait sur son trône la reine des Transats. C'était à l'époque pour les 98 secondes de la victoire surprise de Mike Birch, sans qui les trimarans seraient restés dans les cartons aux fantasmes de doux dingues. La nuit dernière, pour 27 minutes et 55 secondes et sur une seule coque cette fois, Roland Jourdain et Jean Le Cam ont donné au mythe un coup de jeune extraordinaire. En coupant la ligne à 1h ce samedi 11 novembre, Roland Jourdain a sonné l'armistice de l'ultime suspense. Il tient enfin son sceptre au terme d'un final haletant, d'un scénario presque trop complet pour être honnête. Il l'est pourtant. Car il y a tout dans cette histoire de 12 jours et 12 heures avec laquelle "Bilou" pousse la porte du Panthéon de la course au large... et la retient pour qu'y pénètre avec lui son copain Jean. Lequel formule si bien que "pour qu'il y ait un vainqueur, il faut qu'il y ait un deuxième". Il y a tout. Il y a ce suspense des 13 dernières heures de course autour d'une Guadeloupe cruellement privée de vent. Où Roland Jourdain jetait ses ultimes forces dans un furieux combat de chasse-risées pour faire avancer tant bien que mal son Sill et Veolia, tandis que le VM Matériaux de Jean Le Cam revenait inexorablement sur lui et faisait fondre comme neige sur le pont ses 100 milles de retard de la veille.
Il y a cette route du salut cherchée et trouvée aux Açores, dans une option au sud. Il y a cette bôme brisée et bricolée en plein océan par le futur vainqueur, vampirisant pour la cause l'intérieur de son bateau. Ce refus de la fatalité propre aux grands aventuriers et aux immenses champions. Cet improbable soulagement du top libérateur sur la ligne, gagnée mètre à mètre dans un grand ralenti artistique alors que l'étrave de VM Matériaux n'est plus qu'à 300 mètres du tableau arrière de Sill & Veolia! Trois cents mètres pour l'histoire du sport. Vingt-sept minutes pour faire 300 mètres... Le supplice chinois, cruel mais non létal. L'injustice qui va se rhabiller, penaude. Les ressorts de la légende rebondissent en tous sens. Deux copains, sur des bateaux jumeaux, construits ensemble. Deux héros du tour du monde en solitaire, trois avec Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec) qui complète idéalement ce podium impérial. Il y a donc la fameuse glorieuse incertitude du sport. On relève en cerise sur le gâteau le record de la reine Ellen MacArthur, battu de plus d'une journée. La première grande victoire en solitaire d'un Monsieur Jourdain promu héros des houles et qui accepte avec lui son copain sur la crête déferlante des honneurs. On cherche un rédacteur pour dépoussiérer les annales de la course au large. On finit par s'en remettre à la sécheresse des chiffres. Ce samedi 11 novembre 2006, à 1 h et 58 secondes, Roland Jourdain sur son Sill & Veolia a remporté la Route du Rhum - La Banque Postale des grands monocoques Imoca en 12 jours, 11 heures, 58 minutes et 58 secondes, à la vitesse moyenne de 11,81 noeuds. Il bat le record de l'épreuve d'Ellen MacArthur de 1 jour 1 heure et 32 minutes. Sur la ligne, il a devancé son complice Jean Le Cam de 27 minutes et 55 secondes. Pour l'éternité.
Les réactions du vainqueur et de son dauphin
Amarrés au ponton à quelques minutes d'écarts, Roland Jourdain et Jean Le Cam se sont rapidement retrouvés. Comme au café du port, ils ont commencé par refaire le fil de cette dernière journée de course. Ensuite, ensemble puis séparément, ils se sont prêtés au jeu des questions avec les journalistes. Extraits.
Roland Jourdain (Sill & Veolia) :
"Cette dernière journée était un supplice asiatique, un voyage au bout de l'enfer. En fait, cela fait 36 heures que c'est dur. J'ai une drisse qui a pété et mon gennaker est passé à l'eau. Cette dernière journée était à la fois la plus dure et la plus ridicule. J'ai douté. Il faut dire que c'est tellement tordu sous le vent de l'île. Connaissant Jean (Le Cam), je savais qu'il ne lâcherait rien. Heureusement, tout est bien qui finit bien. Je suis vraiment content de l'avoir gagnée celle-là. Le battre est important. Jean est toujours une référence. Je n'ai pas eu beaucoup de temps pour me reposer. J'avais un peu de travaux personnels (bôme cassée, ndlr) qui ont empiété sur mon temps de sommeil. Cette victoire est bien pour moi, bien pour mon bateau. Cela met un terme à deux années difficiles. D'autant plus que pour gagner, il faut avoir une bonne étoile, avoir un peu de réussite. Lorsque la bôme a cassé, je ne me suis pas posé de question. J'aurais pu aller aux Açores réparer, mais j'aurais perdu toutes chances de victoire. Cette bôme cassée m'a redonné de la hargne, de la motivation pour la suite de la course. L'important pour moi était de gagner une grande course en solitaire."
Jean Le Cam (VM Matériaux) :
"C'était une super course. Il y a eu de la bagarre tout le temps. Depuis le départ, je m'oppose à ce tour de la Guadeloupe dans ce sens-là. Franchement, cela n'aurait pas été honnête que les choses ne se terminent pas comme ça. Ce scénario est parfait. Ça ne pouvait pas être mieux. Le rythme de cette course était incroyable. Il n'y avait pas de quoi s'ennuyer. Je pensais dormir quatre heures par jour, mais en fait j'ai dormi moins. Cette Route du Rhum se rapproche plus d'une Figaro que d'un Vendée Globe. Je suis heureux de finir deuxième derrière Bilou. Il faut accepter la place qu'on a. Ceux qui ne l'acceptent pas ne progressent pas. Ils sont malheureux, et donc moins performants."
Monocoques 60' Imoca Jean-Pierre Dick sur le podium, Armel Le Cléac'h 4e
Derrière le duo serré Jourdain/Le Cam, Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec) complète le podium des monos 60. Jean-Pierre est arrivé en fin de nuit à Pointe-à-Pitre à vitesse très réduite. Virbac-Paprec a coupé la ligne à 9h30 heure de Paris, soit environ 8 heures et 30 minutes après le vainqueur Roland Jourdain. Virbac-Paprec boucle l'épreuve à une moyenne de 11,48 noeuds (Sill &Veolia 11,81 noeuds - VM Matériaux 11,79 noeuds).
Au terme d'une belle option nord sur son bateau de plus ancienne génération, Armel Le Cléac'h (Brit Air), vient d'arriver, lui, en quatrième position à 17h (HF) et a connu lui aussi le supplice de tirer des bords à moins de 3 nœuds autour de Basse-Terre. Le prochain attendu sur la ligne pour la 5e place est le Temenos II de Dominique Wavre.
Multicoques 60'Orma : Thierry Duprey 10e
Gitana 12, le trimaran Orma de Thierry Duprey a franchi la ligne d'arrivée à 3h54' heure de Paris ce samedi (22h54 vendredi en Guadeloupe). Thierry Duprey prend ainsi la 10e place de cette Route du Rhum - La Banque Postale dans la catégorie des grands trimarans Orma. Il signe un temps de course de 12 jours, 14 heures et 52 minutes, soit une moyenne de 11,69 noeuds sur la route théorique. Gitana 12 termine la course 4 jours et 21 heures après le vainqueur Lionel Lemonchois qui pilotait l'autre trimaran du team Gitana (le 11). Thierry Duprey, dont c'était la première transat en solitaire et en multicoque, était avant tout engagé dans cette Route du Rhum - La Banque Postale pour apprendre. Objectif atteint, même si bien sûr, Thierry aurait préféré un meilleure résultat sportif. Un choc avec une baleine en a décidé autrement, handicapant son trimaran. L'étrave endommagée ne lui permettait plus en effet d'envoyer toutes ses voiles. Puis, sa grand voile s'est déchirée, ce qui n'a pas arrangé les choses. Reste la grande satisfaction d'avoir ramené à bon port son multicoque après une transatlantique. Il n'y a plus qu'un seul trimaran Orma en course, le Madinina de Gilles Lamiré à qui il reste peu moins de 1100 milles à parcourir.
Monocoques Classe 40
"C'est vraiment la transat des options nord! Ca fait deux semaines que ça dure!" lâchait Damien Grimont, ce matin lors de la vacation. On se souvient en effet du joli coup de Phil Sharp (philsharpracing.com), qui, grâce à une option extrême au nord-ouest il y a quatre jours, s'est emparé des commandes de la course, reléguant du même coup l'ancien leader, Gildas Morvan, à plus de 130 milles (aujourd'hui Oyster Funds ne compte plus que 86,6 milles de retard). Les 24 solitaires se préparent maintenant à négocier une nouvelle dépression et, cette fois encore, l'option nord risque bien d'être la plus payante. "Il y a une sorte de flou artistique devant nous. Une dépression descend juste sur notre route. Elle a un parcours un peu aléatoire", constatait le skipper de Chocolats Monbana en milieu de journée. "Difficile de savoir comment la négocier au mieux. Seule certitude selon moi, il n'y a rien à faire au sud !" Les sudistes défendent néanmoins leur point de vue : "Dans le sud, on est un peu habitué maintenant à voir les nordistes avancer tandis qu'on reste un peu collé mais on regarde devant et pas là-haut. Dans l'après-midi, on devrait toucher un peu de vent de sud sud-est. Le but est de descendre au maximum dans le sud pour récupérer des vents de nord-est", a expliqué Yvan Noblet (Appart'City). Reste que pour l'heure, les monocoques situés dans la zone sont littéralement scotchés. "On a un 1,5 noeud de vent", déplorait Jean-Edouard Criquioche (Cinémas Cinéfil.com) ce midi. "Pour aujourd'hui, à mon avis c'est mort. J'espère que le flux de sud sud-est que prennent actuellement Rabine, Grimont, Munslow et compagnie va venir sur nous. Malheureusement pas avant demain matin, je pense. En attendant, il va donc falloir jouer avec les risées. Il y a quelques nuages et j'espère qu'il va y avoir des petits grains qui vont nous permettre de faire des sauts de puces. Le but du jeu c'est vraiment de faire la route la courte possible pour limiter la casse."
Multicoques Classes 2 et 3 : C'est long, long…
Trilogic qui mène la flotte était à 81 milles de la Guadeloupe à 16 heures : "Les grains m'ont tué cette nuit, c'était une vraie bagarre, une attaque en règle. Toutes les voiles d'avant y sont passées et je n'avance pas. Ce sera compliqué jusqu'au bout. On n'a vraiment pas de bol avec la météo…". Derrière lui, à 576 milles, Victorien Erussard (Laiterie de Saint Malo) est rincé. "J'en ai marre. Hier, quand j'ai reçu mes fichiers météo, j'ai vu que la porte pour la Guadeloupe se refermait juste devant moi et j'ai un peu craqué. Loïc (Deléage & Diazo) qui est plus dans mon Est va me reprendre au moins 150 milles. Quand tu penses que les 60 pieds ont traversé en ligne droite comme des fusées…". Pour Loïc Escoffier, sur Deléage & Diazo, 300 milles derrière à 16 heures et beaucoup plus à l'est, la musique est tout autre. "Moi, ça va niquel. je suis au près, bâbord amure pour aller chercher la bascule gentiment. Il y a 15 nœuds de vent, ça va rentrer jusqu'à 30 nœuds, toujours au près. Jusqu'au bout j'espère bien grappiller des milles." Ce qu'il fait, puisqu'en quatre heures, il aura repris 30 milles à Laiterie de Saint Malo.
En classe 3, Pierre Antoine sur Imagine Institut des maladies génétiques parle de "la loi des emmerdements maximum". "Il n'y a pas d'alizés, comme en 98. On reste coincé dans des systèmes pourris. C'est très très mou, ça va être long et pas simple… "
Monocoques Classes 1, 2 et 3
En classe 1 monocoques, les skippers des trois bateaux qui sont à la poursuite du leader, Jeunes Dirigeants, depuis la bouée du Cap Fréhel espèrent bien que le passage de la nouvelle dépression redistribuera les cartes. Pierre-Yves Guennec mène toujours devant Bruno Reibel (Ville de Dinard), Philippe Chevalier (Antilles-Sails.com) et Arnaud Dhallenne (TAT Express). Ils sont tous, plus ou moins ralentis au passage de la dorsale. Les trois poursuivants de Jeunes Dirigeants sont alignés du nord au sud et guettent les mouvements de la dépression, selon les prévisions météo, c'est Ville de Dinard qui devrait toucher le vent le premier.
En monos classe 3, Michel Kleinjans poursuit sa route à bord de Roaring Forty, largement en tête devant Dangerous When Wet, le bateau d'Aurélia Ditton. Celle-ci est distancée de 310 milles (à 16 heures) tandis qu'elle précède Fantasy Forest d'Alain Grinda de près de 400 milles. Les trois bateaux de cette classe encore en course alignent des moyennes relativement faibles et la route est encore longue (1377 milles pour le premier à 16 heures).
Les échos du large :
- Vacation IMOCA
Armel Le Cléac'h (Brit Air) : "Je termine 4e et si je mets un ou deux bateaux récents derrière moi, c'est un bonus supplémentaire à ma performance. J'ai hâte de retrouver ma famille déjà sur place et de retrouver les 3 premiers pour parler de la course. J'ai encore beaucoup de choses à apprendre donc c'est toujours intéressant de discuter avec eux, de connaître leur façon de voir les choses et ce qu'ils ont vécu à bord. J'ai hâte aussi de mettre le nouveau Brit Air à l'eau en 2007 et avoir les mêmes armes (que les meilleurs, ndr). Ca va être intéressant de débriefer et d'apporter des points positifs au nouveau bateau."
Dominique Wavre (Temenos) : "Je suis au nord de l'île et je fais des empannages pour me rapprocher le plus vite possible de la Tête à l'Anglais. Ca n'avance pas, l'alizé est asthmatique! Je commence à être impatient d'arriver mais je suis prêt à passer ces derniers longs milles. Le bilan général est positif et me donne envie de revenir pour prendre ma revanche. J'ai hâte de boire une petite bière ou un coca une fois arrivé et j'attends avec impatiente de serrer fort mes amis venus me retrouver en Guadeloupe."
Anne Liardet (Roxy) : "J'ai remis un petit peu de distance avec Safran donc je suis contente, ça va un peu mieux. Là je suis dans du petit temps, 8 noeuds de vent en moyenne, le bateau glisse pas mal, c'est agréable, ce serait super si j'étais pas en course! Quand t'es en course, tu as le stress de ne pas te faire rattraper, donc tu profites moins qu'en croisière! Devant moi, je sais qu'il y a encore de la pétole et que ça sera mou derrière l'île, donc plus Safran sera loin derrière et plus j'aurais de marge. Pour le moment, je fais ma route, je vais tout droit. Je commence à voir mon bateau et la Guadeloupe sur ma carte, ça commence à sentir bon le ti'punch! Pour Bilou et Jean, c'est vraiment bien. Ce sont deux bateaux différents mais qui sortent du même moule, et ils sont amis depuis des années, j'imagine donc qu'ils doivent être très contents. C'est une jolie fin de course."
Marc Guillemot (Safran) : "Moi ça va bien, mais la vitesse moins. La porte s'est refermée. Au large c'est le calme pour l'instant, pas très excitant pour la suite. Un front est passé cette nuit pendant un quart d'heure avec une pluie torrentielle. Depuis le lever du jour, il n'y a plus de vent. Ce matin j'ai du faire une pointe à 1,2 nœuds, mais pas plus. On attend avec impatience le petit front pas très virulent mais qui devrait nous amener un peu d'air pour avancer et se rapprocher de la Guadeloupe. En tout cas, le podium en ce qui concerne Bilou et Jean, je les voyais bien tous les deux, sans surprise je m'attendais à un podium de ce style là surtout connaissant Bilou et Jean, leurs bateaux, leur façon de gérer tout ça. Il n'y avait pas de raison qu'ils ne soient pas à l'arrivée au top. Je suis encore loin, c'est un peu long et dur mais l'important est de rester combatif et actif jusqu'au bout. J'ai le sentiment de m'être bien battu même si j'ai souffert d'une erreur la première nuit. Je me faisais passer par Roxy et du coup j'ai fait une option qui s'est révélée être négative par la suite. Ce qui se confirme sur cette course et à la différence des multis, c'est que nos bateaux sont vraiment besogneux et qu'il faut en permanence travailler, changer les voiles, surtout avec un bateau lourd comme le mien, génial dans le vent mais qui se fait coller dans les petits airs et du coup on doit vraiment s'arracher pour avancer. Je me bagarre, ça me fait une motivation."